Journée imaginaire mais vraie
en 1998
Nous répétons un Shakespeare. Les acteurs, dans leur alcôve fouillent l'Angleterre élisabéthaine. Voix fortes et tenues, le metteur en scène l'exige. Un éclat de rire succède à une réprimande sévère. Pause. Le déjeuner dans le foyer repose les esprits. Les téléphones sont dans le fond des sacs ; pour le bien de tous, la sonnerie qui jaillirait (oubli de l'acteur étourdi ou - hélas ! - peu consciencieux) serait étouffée.
Reprise de la répétition. Compris, les mots sont dits, redits. Mais rien de bien valable ne se fait sur la scène. Alors, couture, peinture pour les uns, vaisselle pour les autres. Le temps passe, il est l'heure de partir dans les rues en costumes annoncer le spectacle. Au retour, un vieux projo réclame de l'antirouille, les gradins de la cire. Revenons à Shakespeare : sueurs, joies, inventions. Là, un excès de l'acteur trop gourmand, ici une pudeur déplacée,
là une autre magnifique. Le texte n'est pas su : le temps se perd. On s'arrête. Café et cigarettes. La nuit arrive ; tant mieux elle sied bien à Shakespeare. On frappe à la porte, un gamin du quartier, que l'on aime et qui nous aime, veut comprendre nos voix. Nos cris. Et son regard nous aide. Fin de la répétition, on boit un coup. On éteint les lumières et tout le monde rentre chez soi. Demain, on pliera le courrier : quatre mille lettres qui glisseront dans les
boîtes de nos nombreux spectateurs. Eparpillés mais fidèles. C'est pour eux, tout cela, les histoires théâtrales, vraies, inoubliables. Vite, qu'il fasse jour et que l'on joue !
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