Science, art en plastique, jouet en bois ?
Propos d'un amuseur public, par Michel Mourtérot
J’ai bien l’impression qu’aujourd’hui, l'art, sous toutes ses formes, ne serait plus fait pour faire bouger, avancer, rêver, grandir les hommes, plus apte même à déranger ou provoquer (sous réserve que pour être valable la dite provocation jaillisse d'un amour profond d'autrui), mais bien hélas pour rappeler aux beautés, réveiller les esprits, non plus les éveiller, pour sauvegarder, semer même les herbes folles, empêcher les sottises teigneuses, éloigner — est-ce possible ? — les dangers des portefeuilles affolés, des portables quelques fois mal branchés et toujours mal éteints, prévenir des amitiés tellement idiotes et ridicules de Facebook, de ces pauvres impressions si hâtivement et bêtement tweetées en 140 max. Pour qui aime le théâtre, celui populaire, immédiat de vérité, je le dis, ne craignant nulle riposte, voilà des monstruosités ! Voyons, le Théâtre n'est-il pas de pâte exclusivement humaine ? Les hommes, depuis toujours, ne fuient-ils pas d'instinct les monstres ?
Oui, l’art ne serait donc plus, il me semble, qu’un outil de défense, un rempart aux laideurs — et ce n’est pas si mal quand on constate qu’il n’est ici ou là qu’une démarche mondaine, un soulagement bourgeois, un refuge ou une fuite camouflée — quand il devrait être, pour tous, et toujours, dans la douleur ou dans la joie (à l’artiste de subir ou de jouir, et qu’il ne nous emmerde pas, qu'il ne nous saoule pas avec ses minables "crowdfundings" ! "Tu me donnes 1 dollar, je te donne le droit de me regarder..." Combien pour un doigt ? … Ah ! ce mot « artiste » fait la breloque dans ma bouche !), un moyen d’expression, une question, un ressort, une fronde, une élévation. L’a-t-il jamais été cependant, au vu des résultats ?
Et maintenant la science intelligente, inexorable, prendrait le dessus sur l’imbécile utopie du poète, qui cogne, pleure, boit, pète, rage, abandonne, crie, songe à l’Homme et à l’Amour… Eh bien, tenez, parce que je ne suis pas un guerrier, pas même un résistant, je préfère me dire que le théâtre n’est pas un art, mais un jouet en bois, solide, sculpté dans une branche, pareil à celui que l’enfant aime serrer, et mouiller dans ses mains.
|